Sur la paille

Pierre et Ludivine sont maitres d’ouvrages – propriétaires – maîtres d’oeuvre et autoconstructeurs partiels (charpente réalisée par un professionel d’une maison en Alsace et ont eu à subir une série de m… Ils viennent d’annoncer qu’ils n’arriveront pas à s’en tirer (ce n’est pas le moment d’avoir des dépassements de travaux…), et lancent un appel au peuple pour un don d’un euro par sympatisant.
Vous avez pu voir leur maison dans le reportage diffusé sur M6 dans l’émission « zone interdite » le 22 février au soir. (oui, celui où -une autre- dame pleurait parce que sa piscine ne serait pas terminée pour les vacances…)
Ce ne sont pas les seuls autoconstructeurs à vivre dans des conditions très précaires. Citons, pèle-mèle, Moëllon, Clo-la-Breizh, et tous ceux qui campent dans un mobilhome ou dans la cave du chantier. Pierre et Ludivine ont certes fait des erreurs, de celles que personne ne souhaiterait faire, et portent la responsabilité de leur situation. Mais ils sont « ras-duc » en trésorerie, et parents d’un nouveau-né. Ca fait beaucoup.

Passez voir leur site, la maison des Pailoux, et décidez si ils ne méritent pas un coup de main… Ainsi que le note Norbert (de Paillhautjura) :…

« Nous aussi, on a eu nos petites et grosses galères… Mais finalement, quand le gros temps est passé et qu’on se retrouve bien au chaud dans la maison qu’on s’est construite avec nos petites mains… Eh bien on est fiers…(…) On vous envoie un petit paypal… »

Ils acceptent en effet Paypal.

Edit du 24 février = le procédé fait des émules

Je reviens sur cette histoire pour préciser quelques points:

  • Pierre et Ludivine sont sympathiques
  • Il y a deux aspects à leur aventure :
    1. le désir de construction, qui pousse tant de français à faire des pieds et des maison, et parfois « tout et n’importe quoi » pour devenir propriétaire d’un chez-soi. Et on peut s’étendre sur ce « chez-soi » bourré de défauts: égoïsme du voisinage (haies, isolation, règlements d’urbanisme dont tos ces PLU/COS opposés aux éco-constructeurs ne sont qu’un des symptomes; mitage du paysage; repli sécuritaire; rupture du lien social…
    2. l’aventure de construction, qui les a poussés vers l’autoconstruction et l’adoption de la technique paille
  • comme toute aventure qui n’est pas individuelle, leur histoire a un côté pionnier, qui peut être sympatique quand il est idéalisé, à la Charles Ingalls, ou froler l’inconscience comme (pour rester dans le cadre de la ruée vers l’Ouest), les Mormon handcart pioneers (en).
  • Redisons-le, ils ont fait une grosse erreur, celle de ne pas avoir pondéré le temps nécessaire par un énaurme coefficient pour tenir compte de leur incompétence (initiale)
  • C’est là que l’organisation des « réseaux » de l’autoconstruction pèche, et qu’apparaissent les limites du wisdom of the crowds. Tant de gentils cinglés expérimentent sous le regard admiratif des autres que le recours à la sagesse du savoir-construire, sagesse ancestrale perdue, n’est plus évident. [note = les « pailloux » ne rentrent pas dans la catégorie des gentils cinglés » – ils n’ont rien expérimenté en termes de technique de construction, eux. ils ont ouvert le bouquin et fait comme c’est écrit, comme le cuisinier amateur]

Réflexions sur le bâtiment

Lu récemment dans Constructif:
Le bâtiment, reflet ou expression d’une civilisation (Bertrand
LEMOINE, architecture et ingénieur, directeur de recherche au CNRS et directeur de la revue « Architecture Acier Construction ») – n°17 – juin 2007 .

…le bâtiment le plus banal, voire le plus médiocre, exprime aussi quelque chose de son époque. Les toits obligatoirement en tuile canal des maisons du Midi ou les faux colombages de la côte normande sont aussi l’expression des doutes et des peurs de notre époque. Les boîtes à chaussures des centres commerciaux ne font qu’exprimer l’envie de consommer moins cher qui fait leur succès populaire. Les immeubles de rapport insipides flattent le souhait de banaliser les placements des propriétaires et de mieux s’inscrire dans le marché du logement. Le banal, l’ordinaire, et même le laid sont aussi la marque de notre civilisation industrielle.

…les technologies du bâtiment sont presque rustiques par rapport à nombre d’autres domaines. On peut même dire que le secteur du bâtiment est l’un des plus traditionnels de ce point de vue. Même le monde agricole a davantage intégré la mécanisation, les grandes échelles de production, fût-ce au prix de la pollution des nappes ou des sols. Le bâtiment a certes accepté, avec lenteur, de multiples innovations technologiques, que ce soit l’usage de composants préparés en usine ou en atelier (la plaque de plâtre, le béton prêt à l’emploi, les éléments en béton préfabriqués, les fenêtres industrialisées, les charpentes métalliques façonnées en atelier, les fermettes en bois industrialisées…), le développement des outils de chantier (les grues, les coffrages métalliques, les outils portables tels que visseuses ou cloueuses…) ou les méthodes de planification et d’organisation des chantiers. Mais le travail y reste encore artisanal, avec beaucoup de manutention, de pose, d’assemblage, dans une ambiance de désordre, d’approximation, loin de la taylorisation de la production industrielle. Sans doute la force d’inertie des technologies du bâtiment va-t-elle de pair avec la lenteur de l’architecture et exprime-t-elle une sorte de résistance ou de frottement face aux mutations du monde moderne.

Les entreprises du Bâtiment vendent leurs prestations  »service compris » (Pierre
RIVARD, consultant de Stravia, cabinet d’études et de conseil en management stratégique) n°15 – octobre 2006 :

Ce qui a changé, c’est la part en sus du chantier proprement dit que l’entrepreneur prend à sa charge. Il peut s’agir des services évoqués précédemment : conseil, coordination, suivi, entretien, petits dépannages ; il peut s’agir aussi de services que le client a, de tout temps, attendus mais qu’il se plaignait de ne pas voir assurés, comme, par exemple, le nettoyage des chantiers, chaque soir, lorsque le chantier a lieu dans des locaux habités. La prestation globale de l’entrepreneur s’enrichit ainsi, sous la pression de la demande, d’une valeur ajoutée qui s’étend au-delà du chantier lui-même. Mais les entrepreneurs – et, probablement, les clients (?) – ne sont pas prêts à isoler cette valeur ajoutée pour la facturer. (…) le service fait partie des investissements que l’entrepreneur mutualise dans les prix unitaires qui lui servent à établir ses devis de chantier, au même titre qu’il mutualise les aléas entre différents chantiers pour tenter de rester dans les forfaits qu’il a annoncés. Dans ce cas, la prestation est souvent assurée en « temps masqué », soit par l’entrepreneur lui-même, soit par un compagnon polyvalent.

…divers freins se conjuguent pour expliquer qu’elles ne vont pas au-delà de l’adaptation à la demande évoquée précédemment et du développement d’un « esprit de service ». Citons les plus importants :
• L’identité culturelle : ce que vend l’entrepreneur principalement c’est le chantier et, plus précisément, la partie du chantier correspondant à son corps de métier. C’est ce qui fait valeur pour la majorité d’entre eux. Tout ce qui s’éloigne du chantier va être considéré comme annexe et en dehors du métier.
Ceci est vrai des fonctions de coordination ou de service après-vente à l’issue du chantier. Mais c’est encore plus vrai si on s’éloigne du chantier pour traiter la préoccupation globale du client. L’exemple du financement est caractéristique de cette difficulté : pratiquement, aucun entrepreneur n’accompagne son devis d’un dossier de financement : le financement, ce n’est pas son métier.
• Structurelle : la spécialisation en corps de métier a donné l’habitude de segmenter les prestations en lots. Or, une partie du service consiste, précisément, à partir du problème du client, abstraction faite de la manière de le traiter. Cette pratique laisse la place à des « no man’s land » de prestations plus ou moins bien assurées (coordination, nettoyage, contrôle…). La difficulté de réguler la gestion des déchets illustre les conséquences de cette structuration.
• L’organisation du travail : il est difficile de concilier une gestion rigoureuse du planning des compagnons sur les chantiers et la délivrance d’un service dès lors que celui-ci s’apparente au SVP. Proposer un service à un prix abordable suppose un effet de taille pour disposer d’un volant de polyvalents qui partagent leur temps entre service et chantiers.
A ces différents freins s’ajoutent, actuellement, un effet conjoncturel. La préoccupation majeure des entreprises concerne la disponibilité d’une main-d’œuvre capable d’assurer la production des chantiers qu’ils ont déjà vendus.